J’ai vu Cosmopolis. Non loin de la Bastille. Selon l’indicateur Google Maps,
outil tellement dépassé déjà, Cosmopolis serait coincé entre deux banques,
quelle belle ironie. Je n’ai pas vu de limousine proustée* garée à proximité,
mais un Paradis du Fruit. Nous ne sommes qu’à Paris, malheureusement, au
potentiel dramaturgique plus falot.
Via l’écran mal calibré de mon ordinateur
(mot arriéré et idiot), j’ai découvert cet endroit mystère, après le livre et le
film éponyme. Le voir virtuellement me suffit, je n’ai pas besoin d’en faire
l’expérience. Sur la carte, chaque lieu est annoté d’un petit commentaire, qui
apparaît dans une fenêtre, si l’on s’attarde dessus. Lenôtre Bastille : « Beaucoup
trop cher. Épicerie élitiste dont les produits ne sont pas forcément à la
hauteur de leur prétention ». Nouvelles Frontières : « marche un
peu haute, difficulté pour entrer ». Colline : « habituée des
magasins bios, je peux vous dire que le service dans cette boutique y est déplorable, la femme qui vous
reçoit ne tient pas plus de 5… ». Centre Kinésithérapie Henri IV :
« Grand non sportif devant l’éternel, j’en subis les conséquences en ayant
régulièrement mal au dos. Qu’à cela ne tienne, je file chez mon kiné… ».
Parking St Antoine : « Je me suis fais insulter de fils de p*** par le
pompiste parce que je ne voulais pas payer le surplus d’essence qu’il m’avait
mis, ce monsieur… ». Jacques Dessange Bastille : « très mauvaise expérience également : la coloriste s’est trompée dans le dosage des
produits et m’a littéralement brulé les cheveux ! et en prime elle
m’a… ». Et puis Cosmopolis, se présente dans une sorte de novlangue : « Wykonawka :
Brygada Krysys. Wydawka : Rockers Publishing. Rok Wydania :2000.
MEGACD 1302. jewel case. Lista utworow :1. Subway Train. Brygada
Krysys ». S’agit-il d’un revendeur de films russes de série B ? Ou
est-ce un nom de code, comme Nancy Babich,
qui permettrait de déclencher une explosion
majeure et rayerait Paris de la carte et tous ces petits commerces visiblement
pas terribles ?
Cosmopolis, quoi qu’il en soit, a de l’allure, comme si le mot même était
devenu une matière à fiction, grâce au génie de Don de Lillo, et hors de lui
désormais. Des mots, ceux qui hantent le film, et qui sont sa colonne vertébrale.
Cronenberg dit avoir d’abord retranscrit l’intégralité des dialogues, et que le
scénario a surgi là, autour de ces vertigineux échanges.
Deux phrases du livre (parmi d’autres) ne sont pas prononcées par Eric
Packer/ Robert Pattinson, mais j’aimerai leur donner une petite voix :
« Nous ne pouvons pas attendre la brume du petit matin. »
« Vous me donnerez le poisson cru empoisonné au mercure. »
* Prouster : néologisme dellilien : prouster une
limousine, c’est la tapisser de liège, comme Marcel Proust le fit dans la
chambre de son appartement du 102 boulevard Haussmann lorsqu’il entreprit de
rédiger À la recherche. Retranchement phonique alors nécessaire.
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