vendredi 29 mars 2013


Pâques

Elle le faisait dans les salles de cinéma, quand le générique s'étirait comme un hiver et que les spectateurs commençaient à quitter leur fauteuil en ayant à la bouche leur premier commentaire. Elle le faisait dans les cabines d'essayage en emportant toujours le maximum d'articles (sept, je crois) pour persuader le personnel de vente comme les autres clients dont elle percevait l'impatience dans son dos, qu'elle en aurait pour un petit bout de temps. Elle le faisait après avoir fumé, avant, pendant qu'elle urinait dans les toilettes d'un café, au moment où elle s'apprêtait à faire autre chose et n'y parvenait pas, s'en voulant chaque fois à l'idée de faire attendre cette chose, déjà docile et résignée, suspendue. Elle le faisait après l'amour et c'était un moment assez délicat, et la raison pour laquelle, peut-être, l'intimité avec un autre corps avait peu à peu cessé de l'intéresser. Elle le faisait dans les librairies, se dirigeant pleine d'aplomb vers un rayonnage, feuilletant trois ouvrages, jamais plus, avec l'air absorbé de celui qui sait pourquoi il a jeté son dévolu sur les auteurs d'Amérique latine. 
Elle écalait des œufs. Quand la coquille friable s'abandonnait dans sa main, c'était chaque fois une victoire. Elle ne savait pas pourquoi. Elle ne les mangeait pas. Les corps blancs et oblongs, sans aucun accroc, sans la trace d'un ongle entamant la surface (car elle avait développé une dextérité unique à force de manipulations), elle les déposait au hasard de l'endroit où elle se trouvait, avant de s'éclipser définitivement, ne revenant jamais deux fois sur le même lieu. Laissant à ceux qui trouvaient l'œuf à nu, réticents à l'idée de toucher cette chair éburnéenne, une responsabilité inattendue. 

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