lundi 17 juin 2013

Anticipation 

Il n'y avait désormais plus rien à boire. Les orages de grêle ruinaient les vignes chaque année et les récoltes étaient systématiquement perdues. Les caves restaient désespérément vides, les chais, déserts, et les crayères produisaient un écho terrible. Le zinc des comptoirs, devenus inutiles, était recyclé sur les toits, dans les équipements industriels. Parfois, l'oreille croyait percevoir le tintement de verres, dans une usine ou au dernier étage d'un immeuble. La mémoire du matériau. Le peuple était devenu plus sobre. Et la démographie stagnait. Les containers de verre étaient envoyés au Musée de l'Alcoolisme. Les Urgences s'ennuyaient. Chez les vendeurs de flûtes, le taux de suicide connaissait un pic historique. L'air devenait chaque jour plus respirable, débarrassé d'un excès de dioxyde de carbone dû aux éructations provoquées par la bière. Car la production d'orge n'était, hélas, pas épargnée non plus par les désagréments climatiques. Les ventres étaient moins gros, les visages moins rouges, les yeux moins vitreux, les haleines moins chargées, les propos moins grossiers et les poumons moins en danger. Mais malgré cet embellissement certain d'une grande partie de la population, les corps ne se rapprochaient pas. Et la démographie stagnait. 

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