jeudi 28 novembre 2013


Faire cadeau de remerciements 
(Thanksgiving)

Je remercie la dinde, la farce, le dindon de la farce, la sauce, le pain, la nappe où je m'essuie les mains, le verre plein, le gras qui luit, la bougie, l'œil dans lequel j'aperçois sa flamme, ou peut-être est-ce autre chose, une lueur dont je ne sais rien, je remercie la gare où je suis descendue, l'odeur de cigarette qui traversa le wagon (comme la valise invisible d'un voyageur) tel un fumet dans la cuisine où je reviens, je remercie le dossier de la chaise qui vient d'embrasser ma chemise, les assiettes empilées changées pour le fromage malgré les oh non des invités, je remercie le fromage, surtout celui à droite sur le plateau que d'autres convives ont l'air aussi d'apprécier, je remercie le rire qui vient de fuser dans le couloir et qui n'est même pas provoqué par mon trait d'esprit, je remercie la digestion, l'hébétude, le lave-vaisselle, le froid piquant mes joues dans la nuit.

mardi 26 novembre 2013


On sonne

C'est elle
la vois-t'U

On sonne
X X

C'est elle 
Je te d'I

On sonne
L M

C'est elle 
accueille-l'A


dimanche 24 novembre 2013


Mon pouce est tombé
dans le caniveau souillé
ma main depuis
porte un gant immaculé

Ma langue a glissé
de tout son long s'est étalée 
ma bouche désormais
ne prend plus l'escalier

Ma voix a percuté
une voiture folle à lier
mes aigus dès lors
aux virages lèvent le pied.


jeudi 21 novembre 2013


Suggestions du chef 

jus émétique
vin au verre pilé
velouté façon glaucome sénatorial 
macédoine d'ADN
tartare de pulpe digitale
carottes vichystes
bête aller-retour à la peur
frite au couteau dans le dos
dessert humide

mardi 19 novembre 2013


Et elle se jeta douillettement 
dans la gueule du loup de mer
car il fallait bien à un moment
affronter le précoce hiver. 

dimanche 17 novembre 2013

Comment j'ai appris 
à ne plus m'en faire 
et à aimer la sonde


Je ne sais pas de quelle couleur sont les blouses en satin du personnel soignant, avec quelle molécule sont parfumés les formulaires d'entrée, si un shaker brille parmi les instruments chirurgicaux, quand a lieu la fête des internes, pourquoi la chambre 23 rend euphorique, comment un ancien patron de boite de nuit a pu devenir anesthésiste, mais malgré tout, je n'hésiterai pas à venir ici. Si jamais.  

jeudi 14 novembre 2013

Photosensible

Derrière un rideau blanc, la coulisse d'un stand d'exposant Paris Photo. Sur la gauche, une étagère. Niveau supérieur. Là repose la peau d'une banane sur un rouleau de scotch à côté d'une bombe de colle en spray, de quatre petites bouteilles d'eau minérale au goulot rouge encore scellé, d'un petit ramequin dans lequel quelques olives noires côtoient quelques amandes et tout autour, des cadres retournés ou apparents, et des livres, monographies d'artistes dont je n'ai pas regardé les titres, absorbée par cette banane consommée et laissée là et qui se colorera, brunira, développera des formes connues d'elle seule, agissant comme si elle contenait son propre révélateur. Banane argentique isolée qui rejoindra bientôt les déchets. Je la garde en souvenir. Elle sera mon image mentale résumant l'événement.

mardi 12 novembre 2013


Était-ce du givre ou de minuscules lames de rasoir ? 
Était-ce un croissant de lune ou une faucille pour gorge généreuse ? 

Fallait-il pousser ou tirer ? 
Fallait-il scier ou ne pas ciller sciemment ?

La paix faisait ses premiers pas.
Comprenez-la.

lundi 11 novembre 2013


Et donc.
                                                                                  
On s'est foutu la paix.

vendredi 8 novembre 2013


Viral 

Un jour, peut-être, des humains dans des bureaux se rangeront à cette idée : les rongeurs du métro sont d'efficaces moyens de communication. Car on les regarde, eux, longer les rails, s'aventurer sur les quais. On les scrute. Obligés de s'avouer que nous partageons le même territoire. Sur leur pelage, pourquoi ne pas faire apparaître un petit logo ? Une mignonne virgule ? Une coquette arche jaune ? Cette suggestion me vient, alors que j'emprunte le réseau ratp pour éviter la pluie. Et je remarque de moins en moins de réclames pour des leçons d'anglais, des cours privés ou des expositions à caractère pédagogiques sur les parois des vieilles rames. Les vitrines sont vides, mais pas exactement vides. Comme décorées d'un papier vert*. Un motif qui rappelle celui d'une papeterie trop cher ou d'une marque de chaussures trop chères. Trop élégant pour être vraiment anodin. Je me questionne et trouve la réponse à cette énigme visuelle ici. Pour éviter les panneaux désertés par la pub ou décrédibilisés par de vieilles annonces, un studio de design graphique a imaginé cette occupation de l'espace média délaissé. Dans toute la France, en gares, on retrouve cette identité muette sans vraiment la reconnaître, en lieu et place d'un ancien aplat monochrome vert ou bleu, dont la rudesse ne pouvait pas être un geste, avoir valeur d'intention. Cet objet vert non identifié est baptisé Floating. Il circule, flotte ça et là. Dans l'air. Sans qu'on le voit. Ça m'fout la trouille que mon regard soit sur écoute. Ne peut-on pas laisser l'absence d'intervention s'épanouir comme une bonne vieille mauvaise herbe ? De cette volonté de contrôle créative, qu'en pensent les souris ? 

* Pour mieux voir de quoi ça parle : 

(mauvaise photo réalisée par mes soins)

(photo issue du site des Graphiquants)


mercredi 6 novembre 2013


On peut écrire en mangeant, en appréciant le paysage depuis la fenêtre d'un train, en écoutant de la musique, en regardant au loin un autre écran que celui où les lettres apparaissent et s'agglutinent, formant des mots qui ressembleront à la fin à des petits moucherons stupides qu'on chassera de la main. Mais il faudrait peut-être imaginer une écriture plus entravée. Loin du bureau, du chat, de la prometteuse lumière du matin. Pour constater ce que cela produit. J'y pense. La main droite attachée ou levée. L'assise sur un support mou, mais mou d'une façon difficile à imaginer. La bouche occupée par un élément qui ne pourrait l'accueillir complètement : un filet mignon cru, la moitié d'un fromage à page molle, une peau de chamois, une peluche d'enfant. Ou bien demander l'intervention d'un tiers. Quelqu'un de bien, de confiance, d'irréprochable même, à qui l'on aurait ordonné de nous souffler dans l'oreille toutes les dix secondes. L'effort exigé ailleurs, convoqué autrement, la concentration sur des enjeux externes, bien loin de la page, de la phrase, de la formation du sens. Je demande à voir. 

lundi 4 novembre 2013


You have two shoes 
You have to choose

Depuis la route, circulant à vélo, je regarde souvent, distraitement, en passant, les propositions du fleuriste qui égaient le trottoir. Mais là, devant les pots et les bouquets, c'est une femme, la soixantaine, qui emplit mon champ. Elle porte deux chaussures différentes. Un pied dans une toile couleur coquelicot et l'autre dans un cuir bleu marine. Elle trotte, un cabas sous le bras, comme indifférente à cette réalité dépareillée qui la relie pourtant à la terre ferme. Alors que je ne vois que ça. Un pied dans la tombe, l'autre dans le plat. 

dimanche 3 novembre 2013