samedi 8 mars 2014


La belle

Il jouait seul au ping-pong et souvent à l'heure les repas. Face à la partie de la table relevée, station debout, jambes légèrement écartées, c'était comme s'il se tenait devant un miroir, mais sans les inconvénients. Il décidait librement des temps morts, aimait caresser le double revêtement de sa raquette, un côté picots, l'autre anti-top, pendant qu'il s'arrêtait comme ça, un moment, en pleine partie, il en avait le droit. S'invectivant parfois, se motivant, généralement. Son service était mou, il le voulait ainsi, mais jour après jour, ses effets prenaient de l'ampleur, il maîtrisait vraiment l'art du rebond. La balle était cette boule qu'il avait dans la gorge, cette pensée qui ne le quittait jamais vraiment, cette tête d'os inconnu, doux et saillant qu'il imaginait appartenir à un être inconnu, doux et saillant, cette tumeur grosse comme ça que, peut-être, il couvait comme un œuf, cette chance qui ne portait aucun numéro. Un jour, il s'aperçut que sa progression et sa finesse de jeu n'étaient accompagnées d'aucune admiration adversaire, d'aucun applaudissement ravi. Alors, il débita la table. Découvrant toute la palette d'expression du tranchant de sa raquette. 


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