mercredi 17 juin 2015


Une scène

Un couple marche sur le boulevard, mais la femme opère chaque fois une sorte de décrochage, un pas de côté, comme si l'autre se mettait sciemment sur son chemin et qu'elle voulait à tout prix s'en débarrasser. Exaspération. Quelque chose ne va pas entre eux. Ils portent des sacs, un morceau de leur vie, l'errance, et lui tient en plus une cage en plastique à la porte grillagée, de celles qui contiennent supposément un animal de compagnie. Son pas à elle n'est pas très assuré, elle flotte plutôt, jambes maigres dans un jean étroit, pendant qu'il est à ses trousses, mais pas vraiment, il avance quoi, il fait ce qu'il peut avec son barda, elle s'agace, il la fixe, en orbite. C'est le moment de traverser, et à l'arrêt, c'est de pire en pire, il est trop proche dans l'immobilité, comme aimanté, elle se recule, se décale, il veut lui parler, elle ne veut pas, allume une cigarette pour se créer un espace à elle, dentition, bras, briquet, feu vert, et elle s'élance comme pour en finir avec lui, rage, dépit, mouvement, il balance la cage à bout de bras qui atterrit contre la portière d'un monospace qui circule, c'est son droit. Bruit du choc des deux caisses, celle du chat contre celle de l'homme, les gravillons d'une litière se répandent depuis l'ouverture et arrosent le bitume, les autres piétons sont saisis, le projectile aurait pu les atteindre, à qui était-il destiné, à cette femme soudain bolide qui a déjà rejoint l'autre côté du trottoir, bientôt évaporée pendant que le type ramasse la cage et crie "Je l'aime mais elle comprend pas" alors que les gens veulent surtout savoir s'il y a un animal là-dedans, mais rien, on n'entend pas un son provenant du bloc mystérieux. La voix de l'homme, elle, continue de retentir, propos décousus, les mots hôtel, plainte, les verbes dépouiller, tuer et puis le conducteur sort, et là c'est une autre histoire, une autre haine qui pourrait surgir, il contourne sa voiture, regarde la zone d'impact, étonnamment placide pourtant, ou alors il bouillonne, mais c'est comme si l'image de la petite maison de l'animal comme objet percutant était une chose trop saugrenue et seulement capable d'anesthésier sa colère, et puis pas d'enfoncement à signaler, il remonte à bord, alors que l'amoureux transi et furax est déjà parti à la recherche de son tourment.
Pendant ce temps-là, des élèves planchent sur un des sujets de l'épreuve de philo en série économique et sociale : "La conscience de l'individu n'est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?".

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